Un mois déjà qu'elle a envahi les côtes autour de Mascate. Depuis, la mer est devenue toute noire, épaisse, inquiétante avec des reflets mordorés.
Le premier jour que nous sommes arrivés à notre « private creek » et que nous avons constaté les dégâts, c'était l'incompréhension totale. On a tout de suite vu qu'on ne pourrait plus se baigner et on a pensé à une marée noire. Sur le bord, des centaines de poissons échoués, les yeux exorbités, le corps gonflé. Nos poissons perroquets, nos murènes, nos petits poissons coffres.... ils étaient tous là, posés sur le sable, sans vie, sans couleur, la gueule ouverte, offerts aux oiseaux ou aux pêcheurs indiens qui se sont dépêchés de les ramasser. Quel désolation ! Et la colère est montée contre PDO (Pétrole Développement Oman). Pourtant, cette mer n'avait pas ni l'odeur, ni la texture d'une marée noire. Rien à voir avec du pétrole. Il fallait chercher ailleurs....
En interrogeant les locaux, on nous a parlé d'une invasion d''algues rouges, d'un phénomène naturel lié à la venue de l'hiver et du mélange des courants chauds et froids. « Cela arrive de temps à autres mais cela ne dure pas longtemps : une ou deux semaines maximum » nous a expliqué un omanais pour nous rassurer.
Et la morbidité des poissons ? « Ils meurent d'asphyxie car en proliférant anormalement, l'algue (ou phytoplancton) consomme tout l'oxygène disponible dans l'eau. Une fois morte, ces algues ont encore besoin de beaucoup d'oxygène pour leur décomposition. Cette oxygène soustrait à l'eau, entraine l'asphyxie des espèces végétales et animales. Ce phénomène s'appelle « eutrophisation » ou cancer de l'eau ».
C'est donc cela.... Nous n'avons plus qu'à attendre la fin du bloom de l'algue meurtrière pour reprendre nos plongées quotidiennes et retrouver cette vie sous-marine qui nous fait tant rêver.
Une semaine. Deux. Quatre....... l'eau est toujours aussi noire et visqueuse et peu à peu, une odeur de pourriture a envahie Mascate. Certains jours, cette odeur pestilentielle, mélange de décomposition de l'algue, de poissons pourris et d'égout nous prend subitement à la gorge. Elle s'insinue partout au cœur des maisons et remonte même par les conduits d'aération et circule à travers les réseaux pour toucher les quartiers les plus éloignés de Mascate. Puis la vague nauséabonde disparaît pour réapparaitre quelques heures plus tard.
Un mois déjà...... et à nouveau la colère et l'envie de comprendre. Le silence des autorités locales face au phénomène, le discours rassurant des clubs de plongées et des professionnels du tourisme, l'indifférence de tout le monde qui regarde cette marée rouge sans inquiétude.... Et puis, petit à petit, on commence à entendre des petites phrases du genre : « cela n'a jamais duré comme cela », « c'est vrai que c'est bizarre », « en plus, la mer est très chaude », « surtout que la marée rouge n'est qu'autour de Mascate».
L'inspecteur Nono et moi-même décidons de mener l'enquête. Recherche internet pour comprendre le phénomène d'efflorescence alguale, article de Greenpeace sur le sujet. On en retient surtout que tout développement anormale d'une algue trouve toujours son origine dans la pollution : eau des égouts ou engrais. Tu parles d'un phénomène naturel !!!
Aussitôt, on grimpe dans la Mister bean's car et on fonce vers la grande plage de sable qui borde toute la ville de Mascate. Et là, consternation : maintenant, les rouleaux de vagues noires s'écrasent sur une plage recouverte d'une mousse blanche.
Les rares touristes qui se promènent semblent désespérés. Mais où sont les plages paradisiaques que leur ont vendu les dépliants publicitaires ? Et toujours cette odeur pestilentielle !
Photos-témoignage et hop, on file à la « private creek ». On se campe sur notre rocher et on observe cette eau visqueuse et noire sans vie..... Depuis quelques semaines, plus aucun poisson n'est retrouvé échoué sur la plage. Soit la marée rouge a condamné toute vie sous marine et a transformé le récif corallien en zone morte, soit les poissons ont réussi à fuir plus au large....
La private creek avant.....
Et après l'invasion d'algues tueuses
Pendant près d'une heure, on scrute la surface de l'eau en ayant un petit espoir d'apercevoir nos anciennes copines de natation synchronisée : Hortence, Charlotte, Déborah, Mélusine et Mélodie, où êtes-vous ? Avez-vous survécu à l'algue tueuse ? Vous nous manquez.....
Et tout à coup, en contre jour face au coucher du soleil, on aperçoit une petite tête qui sort de l'eau puis qui disparaît à nouveau dans la noirceur......
Elles sont VIVANTES !!!!! Nos tortues ont RESISTE !!!! Avec Noé, on s'embrasse tellement on est heureux.... Nos tortues ont survécu parce qu'elles peuvent respirer à l'air libre. On crie leurs noms sous les regards étonnés des quelques omanaises en abaya qui se promènent sur la plage.
Serrés l'un contre l'autre face au jour qui décline, on regarde d'un regard complice ces petites boules qui émergent de temps en temps à la surface de l'eau comme pour nous saluer. On reconnaît la grosse Hortence.... Nous voilà rassurés sur un point. Désormais, on sait qu'avec elles, on pourra encore faire des arabesques sous marines. Pour les autres, on a beaucoup moins d'espoir....